L'homme

Sa vie

Une jeunesse jurassienne

Paul, Eugène, Victor (pour l’état civil) naît le 28 juin 1907 à Genève, non loin de Saint-Claude, dans le Jura, où ses parents, originaires d'Europe centrale, se sont installés en 1906. Son père, Éric Victor, y dirige une fabrique de pipes en bois de bruyère et de porte-plumes à réservoir.

Le jeune Paul grandit paisiblement dans cette famille bourgeoise sans histoire, jusqu’à la Première Guerre mondiale. Du fait de ses origines austro-hongroises, Éric Victor est à plusieurs reprises emprisonné sur dénonciation.

Être à la tête d’une usine florissante attise toutes les suspicions et les jalousies. Harcelée et meurtrie, la famille Victor déménage à Lons-le-Saunier à l’été 1916. Monsieur Victor père y installe une nouvelle usine. Dans la cité jurassienne, Paul Victor y poursuit des études appliquées tout en s’adonnant au scoutisme et à la lecture.

Souvent réfugié dans sa mansarde sous les toits, « Tigre souriant » (son totem chez les Éclaireurs de France) dévore les récits d'aventures, d'exploration et d'histoire des peuples. Il passe aussi de longs moments à découper et classer, avec une précision méthodique, les articles à caractère ethnologique publiés dans L’Illustration – le premier hebdomadaire illustré de langue française paru de 1843 jusqu’en 1944.

Le garçon rêve déjà de grand Nord et d’îles polynésiennes. À 17 ans, ses trois baccalauréats en poche, il suit la décision de son père de partir faire des études scientifiques, malgré son goût prononcé pour les Lettres.

Le goût du large

Après trois années d’études d'ingénieur à l’École centrale de Lyon, il réussit en 1928 le concours d'entrée de l'École nationale de navigation maritime de Marseille. L’appel du large est pressant : pour être explorateur, il faut savoir naviguer. Dans la foulée, il effectue son service militaire dans la Royale. C’est durant cette période que Paul Victor devient “Paul-Émile Victor“, suite à l’interprétation inattendue de l’initiale de son deuxième prénom par l’un de ses camarades.

Le quotidien routinier et la stricte discipline ne cadrent pas avec l’image de marin façonnée par ses lectures des romans d’aventures.

Aussi, faute de réelles perspectives, l’enseigne de vaisseau de deuxième classe Victor, une fois “libéré“, revient dans le Jura et intègre docilement l’usine familiale. Le jeune homme y apprend la gestion administrative, comptable et humaine d’une entreprise.

Autant de “bagages“ et d’expériences – notamment celle de VRP ! - qui lui seront fort utiles à l'avenir. Entre 1931 et 1933, Paul-Émile subit l'apprentissage du « fils-Victor-successeur-de-son-père », selon son expression, mais s’adonne également à ses passions : le scoutisme et la vie en plein air, le ski… Féru d’aéronautique, il obtient un brevet de pilote d'avion et multiplie les voyages en Europe.

Mais la soif de découvertes et la promesse d’une vie plus exaltée le titillent. Une vie amoureuse plutôt morne achève de le convaincre : il doit quitter le cocon familial et le Jura. Le fils Victor ne sera jamais le futur patron d’une usine florissante de Lons-le-Saunier.

Charcot, le mentor

À 26 ans, fraîchement débarqué à Paris, le jeune Jurassien trouve rapidement sa voie et décide de suivre des études au Musée d'Ethnographie du Trocadéro, futur Musée de l’Homme. Passionné par cette discipline, l’étudiant assimile avec facilité cours et conférences. Les conseils avisés de l’un de ses parents, ancien camarade de Jean-Baptiste Charcot à l’École alsacienne, vont bouleverser le cours de son existence.

Chantre de l’exploration polaire française, le commandant Charcot est une sommité reconnue aussi bien par ses pairs que par le grand public. Médecin de formation comme son père Jean-Martin Charcot (l’un des fondateurs de la neurologie moderne), Jean-Baptiste a, depuis 1903, multiplié les campagnes d’exploration à vocation scientifique en Arctique comme en Antarctique.

Décidé, le jeune Victor se montre très convaincant dès leur première rencontre en janvier 1934, à l’académie des Sciences. Paul-Émile expose brillamment son projet d’expédition ethnographique, pour étudier les “Eskimos“ du Groenland oriental et rapporter des objets illustrant la culture de cette population, découverte seulement cinquante ans auparavant par l’homme blanc, afin de constituer une collection au Musée d'ethnographie du Trocadéro.

Rapidement conquis, Charcot accepte d’embarquer le « phénomène » (selon ses dires) et apporte même son plein soutien et sa caution pour la dotation matérielle et financière de « l’Expédition française 1934-35 sur la côte est du Groenland » initiée par le jeune Victor.

Le groenland, sa terre promise

Le 25 août 1934, l’ethnologue et chef de mission Paul-Émile Victor, accompagné de l’anthropologue Robert Gessain, du géologue Michel Perez et du cinéaste Fred Matter-Steveniers, débarque du navire polaire Pourquoi-Pas ?  dans le comptoir danois d’Ammassalik.

L’immersion des quatre Franskit (Français) dans la société eskimo est immédiate. Pendant près d’un an, ils apprivoisent la langue et multiplient les visites sur le terrain. Se déplaçant en traîneau à chiens ou en kayak, les quatre compagnons partent à la rencontre des 800 Eskimos peuplant cette région sauvage et montagneuse. Sur ses carnets, le chef de mission constitue ses fiches ethnographiques, il note, écrit et dessine tout ce qui concerne cette civilisation entièrement dédiée au phoque. Les légendes et les contes chamaniques le passionnent.

À l’issue de ce séjour d’étude d’un an, les "Quatre du Groenland" (surnom qu'ils se sont donné) ramènent 3 500 pièces ethnographiques, les enregistrements sonores de 250 chants traditionnels, des enquêtes scientifiques, un film ethnologique ainsi que 8 000 photographies. En pratiquant ce qu'il nommait une « ethnologie amoureuse » avec les Eskimos qui l'ont adopté, Paul-Émile Victor a permis de garder une trace indélébile de cette « civilisation du phoque », de sa vie matérielle, sociétale et spirituelle, aujourd’hui en voie d’extinction. Bien qu'il envisage sérieusement de prolonger son séjour d’un an, il doit se résoudre à rentrer en France, son père étant gravement malade. Mais c'est sûr : le virus du monde polaire est inoculé.

Criblés de dettes à leur retour, les « Quatre du Groenland » trouvent refuge chez Georges-Henri Rivière, sous-directeur du Musée d'Ethnographie du Trocadéro, qui leur déniche un logement et les présente au Tout-Paris. Dîners mondains et conférences s’enchaînent. Grâce à leur rencontre avec Pierre Lazareff, alors directeur du quotidien phare de l’époque, Paris-Soir, un grand reportage titré « Douze mois sur la banquise » paraît fin octobre 1935 en une du journal. La carrière d’explorateur médiatisé de Paul-Émile Victor est lancée. Son charisme et ses talents d’orateur, lors des conférences que lui organise Charles Kiesgen et son Bureau international de concerts, feront le reste.

Mais, rapidement lassé par les mondanités, Paul-Émile décide de repartir au Groenland. Robert Gessain et Michel Perez, ses fidèles compagnons, et un nouveau venu - l'archéologue, sculpteur et romancier danois Eigil Knuth - l’accompagnent pour une expédition audacieuse : traverser d’ouest en est l’immense calotte glaciaire (appelée également inlandsis) du Groenland. Au menu de cette “TransGroenland 1936“ : 4 hommes, 33 chiens, 3 traîneaux, 1 500 kilos de matériel et 800 kilomètres à parcourir, pour étudier le plus scientifiquement possible un univers inhabité parmi les plus hostiles de la planète. Durement éprouvés par de violentes tempêtes, inhabituelles pour la saison, les quatre hommes et leurs équipages frôlent la catastrophe mais arrivent sains et saufs, après 49 jours de marche forcée, aux environs d’Ammassalik, au « pays des hommes ».

Nous sommes le 6 juillet 1936.
Plus qu’un simple exploit sportif, c’est une intense expérience intérieure qu’ils viennent de vivre.

Wittou, l’eskimo

Comme prévu, Paul-Émile décide de prolonger son séjour au Groenland oriental. Installé à Kangerlussuatsiaq (le « Pas-tout-à-fait-très-grand-fjord »), à 250 kilomètres du village et du poste de transmission sans fil (TSF) le plus proche, Wittou (son surnom eskimo) partage, auprès de sa compagne Doumidia, le quotidien précaire et authentique de sa famille d’adoption (26 hommes, femmes et enfants + les chiens). Dans la maison commune semi enterrée, fabriquée à partir de pierres et de tourbe (l’habitat traditionnel hivernal d’alors), l’ethnologue poursuit sa méticuleuse enquête en écrivant, notant tout ce qu’il entend, en photographiant et dessinant tout ce qu’il voit.

Comme ses compagnons, il chasse l’ours et le phoque, a son propre traîneau et son team de chiens, son kayak, ses vêtements de peaux. Comme ses compagnons, il connaît le froid intense, la nuit polaire, et la faim. En juin 1937, lui et son ami Kristian (prénom chrétien de Tougârtougou, « celui qui bouge en dormant ») explorent les grandes étendues glacées de l’arrière-pays d’Ammassalik, alors non cartographié, baptisant de nombreux lieux avec des noms français, que le Danemark entérinera : glacier du Jura, glacier des Champs-Elysées, glacier de France…

Le 17 août 1937, après avoir vécu quatorze mois « comme un Eskimo parmi les Eskimos », après de multiples raids en traîneaux, après le scorbut mais aussi d’intenses moments de partage, Wittou quitte à regret le Groenland.

Un explorateur vedette

De retour en France, Paul-Émile Victor exploite les données récoltées durant son séjour. Mêlant écrits de son journal personnel quotidien, réflexions personnelles, récits épiques ou chapitres plus scientifiques, ses livres, Boréal publié en 1938 et Banquise en 1939, sont deux succès en librairie. Le plébiscite est général. Multipliant conférences, articles dans la presse professionnelle ou généraliste, l’écrivain-ethnologue devient un infatigable conteur de la civilisation eskimo et un homme populaire de la France d’avant-guerre.

Afin de prouver que les techniques polaires peuvent pallier avantageusement les problèmes de transport d'hommes et de matériel en milieu enneigé, il effectue début 1938, avec son fidèle complice Michel Perez et le commandant Flotard de l’armée des Alpes, un raid transalpin en traîneaux à chiens entre Nice et Chamonix.

Conférencier, écrivain, aventurier… Il est même conseiller technique en 1939 pour le long-métrage La loi du Nord, qui sera, grâce à sa vedette féminine Michèle Morgan, l’un des plus grands succès populaires du cinéma français sous l’Occupation. Toujours fasciné par les populations de l’Arctique, il part en 1939, avec ses amis médecins-biologistes Michel et Raymond Latarjet, pour un tour de la Laponie norvégienne, finlandaise, suédoise. C'est là que la guerre le surprend.

Sa drôle de guerre

Compte tenu des circonstances, et étant sur place, le lieutenant Victor est affecté à l’ambassade de France à Stockholm, en Suède. Adjoint de l’attaché naval, il devient agent de renseignement et officier de liaison pendant la « drôle de guerre ». La débâcle et l’invasion allemande l’obligent à un retour en France rocambolesque : Moscou, Odessa, Istanbul, Athènes, Gibraltar, le Portugal, l’Espagne, puis la France occupée. Les bruits de bottes allemandes et le climat ambivalent qui régnent dans l’Hexagone l’incitent à quitter la France.

En octobre 1940, il obtient du ministère de l'Éducation nationale le financement d’une mission d’étude ethnographique aux États-Unis et en Amérique du sud. Quelques jours plus tard, il quitte Marseille et débarque à Casablanca, au Maroc. Faute de bateaux, il y séjourne jusqu’en décembre avant d’embarquer cette fois pour la Martinique. Loin de rester inactif, il profite de chacun de ces séjours pour mener des travaux ethnographiques. Il doit également s’acquitter des missions qui lui ont été confiées par l’Éducation nationale à son départ, concernant les sports et la jeunesse.

Ayant enfin obtenu son visa d'entrée aux États-Unis, il débarque à New York en juillet 1941 et entame très bientôt, avec son ami André-Frank Liotard, un grand tour du pays au cours duquel il retrouve nombre de Français exilés, comme Jean Gabin, Michèle Morgan et Pierre Lazareff. En octobre 1941, il s'installe à New York City en compagnie de l’écrivain et pilote Antoine de Saint-Exupéry et partage son temps entre cette ville et Washington DC.

Tourmenté par le sort de ses compatriotes dans la France occupée par les nazis, il s’engage en juillet 1942 comme simple soldat dans l’US Air Force.

Paul-Émile enchaîne les affectations sans réelles responsabilités opérationnelles, jusqu’à ce que ses compétences arctiques soient enfin connues et utilisées.

Vic’, l’américain

Très tôt surnommé “Vic'“ par les Américains, Paul-Émile Victor est affecté le 1er avril 1943 au Mountain and Winter Warfare Board (Centre d'entraînement militaire pour les troupes de montagne), à Camp Hale dans le Colorado. Il est chargé des essais et de la mise au point du matériel, avant d'être nommé, trois mois plus tard, officier instructeur polaire.

Fort de ses expériences groenlandaises, il entraîne les escadrilles de recherche et de sauvetage pour le Grand Nord. Rédacteur de manuels techniques, il met également au point et développe les techniques de parachutage afin de porter secours aux équipages en difficulté.

Nommé conseiller polaire en février 1944, il intègre l'Air Transport Command et est chargé, en mai 1944, d’organiser une escadrille de recherche et sauvetage en mer de Béring. Autorisé à rentrer en France en novembre de la même année, il restera au sein de l'US Air Force en Europe jusqu'à sa démobilisation en juillet 1946, avec le grade de capitaine.

La même année, il épouse Éliane Decrais dont il aura un fils le 30 mai 1947 : Jean-Christophe, puis, le 6 novembre 1952, les jumeaux Daphné et Stéphane.

PEV, l’entrepreneur d'expéditions polaires

Pendant ses quatre années sous l’uniforme, “Vic'“ a eu tout loisir d’étudier de près l’imposante et efficace logistique de l’armée américaine. Âgé de 39 ans, Paul-Émile Victor retrouve son pays en pleine reconstruction, et l’appel du Grand Nord est toujours aussi pressant. Jouant alors la carte de la sensibilité et de la grandeur nationales, Paul-Émile réussit le tour de force d’engager la France exsangue d‘après-guerre dans la voie des explorations polaires.

Ses expériences passées, son vécu des techniques américaines, son charisme, son don pour les relations publiques et l'appui des médias et de politiques (comme le député et ministre de l'Économie nationale André Philip) décident le Conseil des ministres à approuver, le 28 février 1947, « la réalisation d’expéditions polaires françaises dans les terres arctiques et antarctiques » et à charger Paul-Émile Victor de leur organisation et de leur direction. Les “Expéditions Polaires Françaises - Missions Paul-Émile Victor“ (EPF) sont nées.

À partir de mai 1948, les premières expéditions, motorisées puis rapidement aidées par un support aérien, vont se succéder au Groenland. Et en janvier 1950, à l’autre extrémité de la terre, le drapeau français est planté en terre Adélie, réaffirmant, cent dix ans après le navigateur Jules Dumont d'Urville, la souveraineté de la France sur cette partie du continent Antarctique, et ouvrant là aussi la voie à des décennies d'expéditions polaires. En 1952, en pleine guerre froide, Paul-Émile accepte le poste de Conseiller technique spécial pour le Groenland au sein de l'US Air Force, permettant ainsi aux EPF de collaborer avec les États-Unis pour leurs opérations en Arctique.

En 1959, Paul-Émile Victor – devenu “PEV“ au sein des EPF - obtient du gouvernement que les expéditions et la base scientifique en terre Adélie soient désormais permanentes. S’enchaînent alors, sans répit, missions dirigées depuis Paris et campagnes d'été en Antarctique pour celui qui devient le porte-drapeau et dénicheur de subventions des expéditions polaires à la française. Homme-orchestre, Paul-Émile prépare, recrute, planifie, mobilise les énergies.

Jusqu'en 1992 et leur intégration au sein de l'Institut français pour la recherche et la technologie polaires (IFRTP), les EPF assureront des centaines d'expéditions, tant en Arctique qu'en Antarctique.

Pour sa part, en trente ans, PEV en dirigera sur le terrain dix-sept en terre Adélie et quatorze au Groenland, accompagné au total de près de cinq mille hommes - dont deux mille cinq cents chercheurs en glaciologie, géodésie, climatologie, météorologie, sismologie, gravimétrie, biologie humaine et animale, etc.

Un précurseur de l’écologie

En marge de ses activités aux pôles, Paul-Émile Victor donne de très nombreuses conférences, tant en France qu'à l'étranger. Il veille aussi à entretenir sa curiosité intellectuelle, fréquente les surréalistes et entre en mars 1960 comme Satrape au Collège de 'Pataphysique, où il rencontre Raymond Queneau, Boris Vian et Jean Cocteau. Côté cœur, il épouse en secondes noces Colette Faure ; de cette union naîtra le 30 septembre 1971 Teva (le « prince des voyages » en polynésien).

Grâce à Colette, qui lui fait découvrir les livres de l’Américaine Rachel Carson, Paul-Émile commence à s'intéresser aux questions de dégradation de la planète. L’aventurier charismatique et humaniste devient délégué général de la Fondation pour la Sauvegarde de la Nature, fondée par Louis Armand, avant de créer en 1974 le Groupe Paul-Émile Victor pour la défense de l'homme et de son environnement. À ses côtés s’engagent d’illustres personnages, comme la pilote de chasse Jacqueline Auriol, le médecin Alain Bombard, l'océanologue Jacques-Yves Cousteau, l'alpiniste Maurice Herzog, le physicien Louis Leprince-Ringuet et le vulcanologue Haroun Tazieff. Parmi les questions traitées par le Groupe, une devient rapidement son thème de prédilection : l'eau.

Les tournées de conférences suscitent beaucoup d'intérêt dans le public mais, trop accaparés par leur vie professionnelle, Paul-Émile et ses compagnons ne consacrent ni le temps ni l'énergie nécessaires à la bonne gestion du Groupe. Peut-être aussi leurs cris d'alarme et leurs alertes arrivent-ils trop tôt pour être véritablement entendus. Quoi qu'il en soit, les activités du Groupe cessent petit à petit au début des années 1980.

“Retraite“ ?… vous avez dit “retraite“ ?

Figure emblématique du monde polaire en France comme à l’étranger, Paul-Émile Victor excelle autant à diffuser les résultats scientifiques des expéditions qu’à vulgariser ses connaissances ou à parler de sa longue expérience d’explorateur des « déserts blancs ». Fin pédagogue, conférencier hors pair et habile orateur, l’homme des pôles est courtisé par les médias. Bon client, il fréquente assidûment studios de radio et plateaux de télévision.

En pleine renommée, il accepte pourtant de prendre sa retraite administrative en 1976. Un an plus tard, âgé de 70 ans, il réalise son second rêve d’adolescent : lui, Colette et leur fils quittent Paris pour s’installer sur l'îlot polynésien qu'ils ont acquis quinze ans plus tôt sur le lagon de Bora-Bora, en Polynésie française. Sur le “motu Tane“ (« l’île de l'homme » en tahitien), il écrit, dessine, peint, savoure la vie et reçoit de nombreux visiteurs venus des quatre coins de la planète. Il y demeurera près de vingt ans mais restera un voyageur. En plus de ses allers-retours fréquents en métropole, ce retraité hyper actif s’autorise pour ses 80 ans deux « voyages-pèlerinages » : en février 1987, il retourne une dernière fois en terre Adélie puis, au printemps, se rend au pôle Nord avec l'expédition en ULM de Hubert de Chevigny et Nicolas Hulot.

Malgré un accident vasculaire cérébral en 1988 et le cyclone tropical Wasa qui dévaste son motu en 1991, sa foi en la vie est inoxydable. Politiques, journalistes, scientifiques et artistes n'hésitent pas à venir dans ce petit bout-du-monde pour le saluer, comme le président François Mitterrand en 1990. Relié au monde jusqu’à son dernier souffle, PEV décède le 7 mars 1995 sur son île et, à presque 88 ans, entre de plain-pied dans le gotha des personnalités françaises marquantes du vingtième siècle : le 13 mars en effet, depuis le BATRAL Dumont d'Urville, il est immergé au large de Bora Bora, avec les honneurs de la République.