L'héritage

L'écologie avant l'heure

En septembre 1962 paraît aux États-Unis un livre qui va largement contribuer à faire naître le mouvement écologiste dans le monde occidental. Son titre : Silent Spring (paru en France en 1968 sous le titre Printemps silencieux). Son auteure : Rachel Carson. Elle est biologiste marine, déjà reconnue depuis une dizaine d'années comme écrivaine de talent, traitant principalement de la vie marine dans sa globalité, du littoral aux profondeurs. De plus en plus concernée par la protection de l'environnement, pas seulement maritime, elle expose dans Silent Spring les effets négatifs, notamment sur les oiseaux, de l'utilisation de certains pesticides (comme le DDT) et pointe du doigt l'industrie chimique et sa politique de désinformation.

À peu près au même moment, Paul-Émile Victor rencontre Colette Faure, qui deviendra sa seconde femme en 1965. Elle est hôtesse de l'air et a longtemps vécu aux États-Unis. Sur ses conseils, Paul-Émile Victor lit le livre de Rachel Carson et réalise alors que, si rien n'est fait pour arrêter la course au progrès, l'humanité court au désastre et qu'en protégeant la nature, on protègera l'Homme.

Sans doute séduit par ce domaine où tout reste à construire, Paul-Émile Victor concrétise très vite son engagement.

Il rejoint dès 1963 l'équipe de Maurice Herzog, alors secrétaire d'État à la Jeunesse et aux Sports, et prend la présidence de la Commission des loisirs et des sports de plein air. Celle-ci publie en juin 1964 le rapport « De l’air... pour vivre » qui dresse un bilan de la nature en France et fait apparaître une nouvelle préoccupation des Français : la qualité de la vie.

Le 25 janvier 1972, il intervient à Strasbourg devant le Conseil de l'Europe, sur le thème Environnement et Coopération scientifique européenne et, dans la foulée, contacte le PDG de la société Berger S.A. qui va lancer sa “Fondation Berger pour la sauvegarde de la Nature“ (FONAT).

Avec Paul-Émile Victor comme délégué général et porte-parole, il s'agit de faire prendre conscience aux Français de la nécessité de défendre la Nature.

Pour cela, le message doit être clair, direct, et Paul-Émile ne manque pas de slogans pour les campagnes de sensibilisation auprès du public, des mairies, des écoles : « Moi je ne jette pas n'importe quoi, n'importe où », « Il faut rêver les pieds sur Terre ». Moins laconique : « Le respect de l'Homme commence par le respect de la Nature, le respect de la Nature commence avec l'éducation des enfants, l'éducation des enfants commence avec l'exemple donné par les adultes ». Plus explicite : « Le monde est une montagne de merde. Si on veut seulement commencer à la déplacer, c'est à pleines mains qu'il faut le faire. » Et, sur le logo de la Fondation Berger, un slogan lapidaire : « Tant qu'il y aura des arbres ».

Toujours à la tête des Expéditions polaires françaises, Paul-Émile Victor s'investit autant que le lui permettent ses activités professionnelles, allant jusqu'à donner bénévolement des conférences intitulées “Demain, il sera trop tard“. Mais au fil des mois, la Fondation Berger bat de l'aile, ayant trop investi dans son lancement et pas assez calculé sur le long terme. Paul-Émile Victor, lui, souhaite parler de sa propre voix. Le 19 décembre 1974, il annonce la création du “Groupe Paul-Émile Victor pour la défense de l'homme et de son environnement“ avec, à ses côtés, l’océanologue Jacques-Yves Cousteau, le médecin Alain Bombard, le vulcanologue Haroun Tazieff, l'alpiniste Maurice Herzog, le physicien Louis Leprince-Ringuet et le docteur Jacques Debat, patron des laboratoires Debat et mécène du Groupe.

Le slogan en est : « Nous nous battons parce que nous aimons la vie. »

Un thème emblématique apparaît rapidement : l'eau. En octobre 1975 démarre la première campagne “S EAU S“ en vue d'alerter les Français sur la qualité de l'eau et surtout, sur la précarité de ses ressources. Prophétique puisque neuf mois plus tard, la France va connaître un été caniculaire et une longue période de sécheresse qui provoqueront plusieurs milliers de morts…

Pendant un mois, la caravane parcourt la France et se pose dans quinze villes, proposant en soirée un film et une conférence de Paul-Émile Victor tandis que les après-midis accueillent les scolaires et sont animés par Allain Bougrain-Dubourg, futur président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Une seconde campagne “S EAU S“ sera organisée en juin et juillet 1978, tandis que, courant 1976, un grand concours “Longue vie à nos forêts“ l'est dans 600 établissements scolaires. Des dossiers pédagogiques sont rédigés ; des plaquettes audiovisuelles (un disque 45 T. accompagné de diapositives) sont fabriquées ; des opérations ponctuelles et locales sont mises sur pied, comme l'“Opération verte“ du Club Haroun Tazieff à Hendaye qui mobilise élèves, parents et enfants une journée pour ramasser les papiers et emballages qui traînent - résultat : 55 tonnes de papier récupérées. Des brochures sont distribuées, des livres à l'attention du grand public sont publiés, comme Protégeons l'eau (Nathan 1978), Jusqu'au cou… et comment s'en sortir (Nathan, 1979), des expositions sont présentées, des séries documentaires sont produites, comme les treize épisodes de L'Homme et sa planète sur Antenne 2.

Mais après le succès public des débuts, les adhésions s'essoufflent, venant accroître les problèmes financiers dus à une gestion discutable, que ne peuvent encadrer les fondateurs du Groupe, trop souvent et trop longtemps éparpillés aux quatre coins de la planète. Peut-être aussi que, même prémonitoires, leurs alertes et leur message venaient trop tôt…

« Soyez égoïste : pensez aux autres, vous en faites partie. » Paul-Émile Victor
Pour en savoir plus
  • Protégeons l'eau - Paul-Émile VICTOR, Éditions Fernand Nathan 1978
  • Jusqu'au cou… et comment s'en sortir ? - Paul-Émile VICTOR, Éditions Fernand Nathan 1979