L'héritage

Des expéditions polaires françaises à l'Institut Polaire Français Paul-Émile Victor

1947-1991
Les Expéditions polaires françaises
Missions Paul-Émile Victor (EPF)

Engagé volontaire dans l'armée de l'Air américaine en juillet 1942, Paul-Émile Victor apporte sa connaissance des milieux polaires, de leurs dangers et des moyens d'y survivre.

Instructeur au Centre d'entraînement militaire pour les troupes de montagne (Mountain Winter Warfare Board) dans le Colorado, puis, dans le Montana, officier en charge d'une escadrille de recherche et de sauvetage au sein de l'Air Transport Command, section Alaska, il découvre très vite à quel point les techniques polaires ont progressé : le tank à neige, surnommé weasel (belette), est un véhicule à chenillettes tout-terrain qui sert à tout et partout, et l'avion est un instrument logistique indispensable pour le transport et le largage des hommes et des matériels.

C'est ainsi que, marquant la fin de sa période ethnographique, la guerre se révèle un tournant majeur dans la vie de Paul-Émile Victor. Il comprend qu'il existe d'autres façons, plus mécanisées, d'explorer le Groenland qui, de surcroît, avec la fin de la Seconde guerre mondiale et le début de la guerre froide, est devenu stratégique. Il sait aussi que la calotte glaciaire du Groenland est encore largement méconnue, lui qui, à l'issue de la traversée qu'il en a faite en 1936, a eu pour la première fois, avec son ami géologue Michel Perez, l'idée d'une expédition véritablement scientifique au Groenland, répondant entre autres à la question de l'influence de tant de glace sur le climat de l'hémisphère nord.

Démobilisé en 1946, Paul-Émile Victor élabore son projet de monter une expédition au Groenland, à laquelle, grâce à trois jeunes gens qui lui en soufflent l'idée l'idée - Yves Vallette, Robert Pommier et J.A. Martin -, va vite s'adjoindre une autre expédition, en terre Adélie celle-ci, terre française en Antarctique où nul n'a mis les pieds depuis sa découverte en 1840 par Jules Dumont d'Urville et dont la souveraineté est en passe d'être contestée, notamment par les Norvégiens.

Après des mois de démarches et de rendez-vous stériles, le long exposé que Paul-Émile Victor a rédigé arrive enfin sur le bureau d'un ministre : André Philip, ministre de l'Économie nationale dans le gouvernement Daladier. La France est exsangue mais, au sortir de la guerre, elle a besoin de rêver, et elle rêve de conquêtes.

On ne pense pas encore à celle de la Lune, mais celles des océans, des volcans et des zones polaires se dessinent.

Les “Expéditions polaires françaises - Missions Paul-Émile Victor“ sont officiellement créées le 28 février 1947.

Les “EPF“ sont au départ une sorte d'association type loi 1901 subventionnée par l'État, sous la tutelle du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; paradoxalement, elles n'auront de statut administratif clair qu'à la fin des années 1950.

Le comité de direction est composé de Robert Gessain, Raymond Latarjet, André-Frank Liotard, Michel Perez, et Paul-Émile Victor. Aidés d'un certain nombre de scientifiques - qui composeront quelques mois plus tard la Commission scientifique officiellement créée pour établir les programmes de recherches -, ils vont travailler d'arrache-pied à l'élaboration et l'organisation des expéditions à venir au nord comme au sud, ce qui permettra à Paul-Émile Victor de présenter, à l'automne 1947, le Mémorandum concernant le projet préliminaire des expéditions polaires françaises dans l’Arctique et l’Antarctique (1947-1950).

La première expédition antarctique a pour but principal de faire acte de présence française en terre Adélie, présence qui sera marquée par son exploration géographique, géologique et glaciologique.
Le but principal de l'expédition arctique, quant à elle, est plus précisément l'étude de la calotte glaciaire du Groenland, avec un programme scientifique composé exclusivement de sciences de la Terre telles que la géodésie, la glaciologie, la gravimétrie, la sismologie, la météorologie, la climatologie et la physique atmosphérique.

Ces premières expéditions seront suivies de beaucoup d'autres. En fait, à quelques exceptions près, chaque année verra des scientifiques, des logisticiens et des techniciens travailler sur le terrain, notamment en Antarctique, pour de longs hivernages ou pour des campagnes d'été, plus courtes. Régulièrement, les EPF représenteront la France dans les grands projets scientifiques internationaux, comme les Expéditions glaciologiques internationales au Groenland (EGIG) ou l'Année géophysique internationale (AGI).

Pendant ce temps-là, à Paris - d'abord au 22 avenue de la Grande-Armée (dans l'appartement familial de Paul-Émile Victor) puis, à partir de 1952, au 47 avenue du Maréchal Fayolle -, les équipes administratives ne chômeront pas non plus, indispensables chevilles ouvrières pour des expéditions polaires réussies.

C'est ainsi que, en 1949-1950, est installée et ouverte la Station centrale du Groenland, en plein cœur de la calotte glaciaire.

En janvier 1950, en terre Adélie, c'est la station de Port-Martin qui est construite, dans laquelle onze hommes hiverneront un an. Détruite par un incendie début 1952, elle est remplacée par la base Marret, sur l'île des Pétrels, qui deviendra à partir de 1955 la base Dumont d'Urville, toujours en activité aujourd'hui. Sur le continent antarctique lui-même, non loin du pôle Sud magnétique, la base Charcot voit le jour fin 1956 pour l'Année géophysique internationale. À partir de 1978, des travaux de recherche commencent au dôme Charlie (“Dôme C“), à plus de 1000 km de la base Dumont d'Urville et à environ 1700 km du pôle Sud géographique. Les scientifiques français seront rejoints quelques années par les Italiens, créant officiellement, en 1993, la station Concordia.

En juin 1976, à presque 70 ans, Paul-Émile Victor prend officiellement sa retraite. Sous sa direction, depuis 1947, près de cent cinquante expéditions ont été organisées simultanément. PEV en a supervisé lui-même dix-sept en terre Adélie, quatorze au Groenland. Quatre à cinq mille hommes – en incluant les équipages d’avions, d’hélicoptères et de bateaux – sont partis en expédition - parmi eux, deux mille cinq cents chercheurs.

Paul-Émile Victor passe le relais à ses fidèles compagnons : Jean Vaugelade, directeur administratif et financier depuis 1952, Jean Rivolier, médecin recruté en 1951 et chef du Bureau médico-physiologique, Gaston Rouillon et Robert Guillard, les deux grands chefs d'expédition de la première heure, et Christiane Gillet, ingénieure de recherche au CNRS entrée aux EPF en 1956 pour organiser et diriger le Bureau technique, et première femme de terrain, que ce soit au Groenland ou en terre Adélie.

1990-2002
L'Institut Français pour la Recherche et la Technologie Polaires (IFRTP)

À partir de 1960, tout en demeurant autonomes, les Expéditions polaires françaises avaient partie de l'administration des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), dépendant ainsi du ministère des DOM-TOM (ministère des départements et territoires d'Outre-mer). Fortes de leur savoir-faire et de leur expertise en la matière, les EPF avaient alors recentré leur activité sur la logistique des expéditions.

En janvier 1992 est créé l'Institut français pour la recherche et la technologie polaires (IFRTP), groupement d'intérêt public issu de la fusion des EPF et de la mission de recherche des TAAF.

Depuis 2002
L'Institut Polaire Français Paul-Émile Victor (IPEV)

En janvier 2002, l'IFRTP est prorogé officiellement pour douze ans et prend alors le nom d'Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV), basé à Brest, non loin de l'IFREMER et d'Océanopolis.

Sous la responsabilité successive de Gérard Jugie, Yves Frénot et aujourd’hui Jérôme Chappellaz - tous trois directeurs de recherche au CNRS -, l'IPEV met en œuvre des projets de recherche scientifique au Nord comme au Sud, en offrant aux scientifiques français les moyens nécessaires pour mener à bien leurs travaux, et en coopérant étroitement avec diverses instances internationales en vue de l'échange de connaissances entre chercheurs du monde entier.

Pour en savoir plus
  • La grande odyssée, Une histoire des Expéditions Polaires Françaises - Djamel TAHI, Georges GADIOUX, Jean-Pierre JACQUIN, Éditions Paulsen 2019
  • Polar Circus, Les expéditions polaires à la Française - Stéphane DUGAST, Éditions du Trésor 2019 et Pocket Terre humaine 2021